Ensuite le vent s’est levé, il neige des bancs de neige!
Hier, mes vaillantes tulipes étaient sorties de terre.
Ce matin à ma fenêtre, spectaculaire retour du grand blanc.
(avis aux intéressés: neige à bonhommes)
En revenant du nord, par grand froid.
Dans le champ hier, entre chien et loup
Ce matin, l’étrange hiver ressemble au printemps. Le fleuve a son allure de dégelé. À peine un fin miroir glacé le recouvre. Ici et là des monticules de glaces grises ont l’air de flotter dans un ciel inversé.
Sur la grève, une roche ronde. Comme une tête qui dépasse.
Dans un dernier élan de marée montante, l’eau la rattrape. Le fin miroir s’y déchire en chuintant et entreprend de la décorer.
Ça commence par un petit nœud papillon, brillant sous le soleil. Puis un franc nœud de cravate, une lavallière, un double-Windsor, un col, col roulé, col châle, collerette, écharpe, foulard, poncho… et hop un bonnet une calotte une cagoule un capuchon…
Pièce montée qui continue de monter, tout en mosaïque de dentelles de mousseline de résille de velours de satin de taffetas de paillettes… puis…
Puis… tout s’arrête.
Silence.
La brise est tombée, l’eau s’est immobilisée.
Ça alors, c’est étale!
Décembre. Des nuits à -20. La froidure.
Au bord du grand fleuve en fin d’après-midi se déclinent tous les tons de bleu, de jaune et de rose.
À la faveur de la marée baissante, la ligne des rochers pointe lentement à la limite des eaux profondes, rétrécissant le chenal comme par surprise. En marchant longtemps, j’avais vu venir de loin le champ de jeune glace couvrant le fleuve sur toute sa largeur. Voici qu’il est entravé dans son cours, voici qu’au grand ralenti la glace doive se compresser, se recroqueviller, se télescoper, se déchirer, se concasser pour passer. Voici qu’elle se frotte à la barre de récifs, qu’elle gémit, qu’elle grince et qu’elle explose dans un interminable fracas de tremblement de terre.
La glace grise de ce décembre s’excite facilement mais n’est pas trop obstinée, elle est passée. Elle laisse la place à l’onde lisse qui descend paisiblement vers l’océan.
Très loin vers l’amont, là ou le fleuve disparaît entre ses rives, le soleil fait flamber les orangés avant de plonger au-delà de l’horizon sud-ouest.
Il est 16 heures, à l’heure d’hiver.
J’ai tant patiné. Depuis toute petite. Je laçais mes patins au chaud dans le portique de la maison et je me lançais dans le banc de neige et dans le froid jusqu’à la patinoire voisine, rejoindre Nounoune et Gege, et nos grands frères, et leur canaille copain Yvan. Et on patinait, patinait, jusqu’à n’en plus pouvoir. Les mèches de cheveux givrées, les joues et les poignets mordus et rougis de froid, parfois le bout du nez blanc… oh ce douloureux souvenir des orteils qui dégèlent en picotant!
Puis les midis d’hiver, à la patinoire de l’université…
Ça faisait une éternité!
J’ai eu le goût de m’y remettre. J’ai retrouvé mes vieux patins, encore aiguisés, dans un recoin de mon barda. Pendant le dîner des tout-p’tits de l’école primaire d’à côté, je suis allée squatter leur mini-anneau de glace. Le temps de lacer mes bottines, la tempête s’était levée. Le plaisir de patiner quand il neige, dans un silence ouaté inusité. Chambranlante au départ, j’ai retrouvé mon allant assez rapidement. Patiner ne s’oublie pas, c’est comme aller à vélo, ou danser le tango, c’est la mémoire du corps.
Puis, à la faveur d’une rafale en pleine face, je me suis retrouvée prise dans le courant d’une vague sautillante de petits guerriers, bien dodus et bien casqués, les vaillants maternelle-première année. C’était charmant!
En sortant du four mon vrai gâteau italien citron-amandes bien sucré, je me suis subitement demandée si le ruisseau était gelé.
Avec une pensée amicale pour Alice et Tinamer de Portanqueu, j’ai pris le champ, plein de lumière rose et de flocons pelucheux, puis le bois, bleu.
Au bout des pistes du cerf, du renard et du mulot, j’ai retrouvé mon ruisseau. Il était bien gelé, je l’ai traversé, juste pour la joie de traverser un grand ruisseau gelé.
Pluie battante verglaçante. Le ciel et les champs se confondent, puis disparaissent.
Il reste quelques arbres givrés sous les réverbères.
Diaporama:
La nuit, sous le verglas et dans le brouillard. Contraste inhabituel entre le lustre du sol et l’opacité du ciel.
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