l’onde ou la marmite… j’avais le choix
j’ai fait mon baptême du spa
mais voilà
son eau désinfecte et cuit
celle du fleuve me rafraîchit
plutôt sentir la moule que la lessive
je serai sur la rive la prochaine fois
Le sentiment humain s’entend sur plus d’une octave
Son registre est infini
Soprano-coloratur
Contre-ténor
Baryton-basse…
J’y serai le temps d’un coup de soleil, en pleine lumière, sans chaussures, sans lunettes et sans fard. Si je ne suis pas au large des premières maisons de la plage, c’est que je suis partie sur la marée montante.
Mes hippies, pivoines et coquelicots, sont échoués, tout échevelés.
Le plus fier bouquet de la fête se pavanait, fleurdelisé, sur des milliers de pavillons mouillés.
La relève sera le boutonneux jasmin des poètes… et des milliers de maringouins.
Les petits cousins assoiffés m’ont goûtée droit au pouls, sous l’oreille dans le cou, au mou de cheville au creux du genou: piquerie annoncée.
J’ai pleuré pendant des heures, le feu aux joues et les paupières comme du marshmallow.
J’ai mal dormi, mangé plein de cochonneries, trop fumé, trop bu, et pas mal tourné en rond. J’ai fait du grand ménage, jeté des piles de journaux pas lus et arraché, enragée, 50 livres de pissenlits innocents.
Puis, après avoir écrit un peu, j’ai dansé comme une demeurée, jusqu’à épuisement, toute seule dans mon salon. Musique africaine cubaine arabe, Chao, Bashung, Archive, Bran Van, Björk… Led Zeppelin, Waits, P.J. Harvey, The Cure, Nick Cave…
Après une nuit sans rêve ni cauchemar, me revoici, mardi, comme l’idiot de Dostoïevski. Quelques manques, des fantômes noirs qui passent, quelques phrases incongrues parlées toute seule, quelques gestes inutiles. C’est la longue parade des petites choses plus-comme-avant.
Pouvoir dire «Qui est-ce qui arrive?», «promenade» et «biscuit» tout fort, sans créer une commotion.
Ne plus m’enfarger dans rien.
Jamais plus de flap-flap de grandes oreilles, de pchic-pchic des griffes sur le parquet, d’ablutions festives dans le plat d’eau, ni de tap-tap-tap-boum du grand corps qui fait trois tours et puis se couche.
Plus aucune trace de gros nez dans la fenêtre de la porte d’en avant…
Apprendre à jeter mon cœur de pomme dans la poubelle…
Penser à aller me coucher…
Acheter un réveille-matin…
Verrouiller en sortant…
Juste un regard candide, chocolat-noisette, qui reste accroché là.
Suspectée jeudi, diagnostiquée vendredi, éliminée samedi…
Mika, dans toute sa splendeur, a été euthanasiée ce matin. Relevée de ses fonctions. Un sommeil de barbiturique rose l’a assommée pour de bon et a noirci son regard, en même temps qu’il a stoppé la tumeur, aussi maligne que foudroyante. Heureusement, mon grand chien ne s’est pas éteint à petit feu, usé par la mort lente.
Comme le veut l’usage, elle a eu le droit de choisir hier soir son dernier menu: une belle pomme verte toute ronde, du pain baguette, un gros morceau de fromage, jambon, le reste de la fine crème glacée et de l’huile d’olive dans son eau. Ce matin, fruit défendu, une petite poule en chocolat.
J’ai perdu mon ramasse-poussière, mon gobe-miettes, ma sonnette et mon système d’alarme. L’épouvantail, le réveille-matin et le brasse-camarade. Perdu une traînerie, une carpette, une statue de jardin, le chauffe-pieds, le coussin, le pouf. Perdu le mouton noir, la gardienne du troupeau, la sauveteur-plage, l’arbitre, le gendarme et le bébé-lala… Mais, surtout, j’ai perdu mon sherpa pour partir au diable dans le bois, mon garde du corps pour fréquenter les drôles d’endroits… ma seule folle compagne de pluie battante, de tempête de neige, de vents fous, de moins 25 bien croquants et de routes désertes … de trempette dans la rivière, de kilomètres de brasses dans le lac, de taï chi sur la montagne, de chasse aux oiseaux… de dessin d’écriture de photo, petit matin, quai 35 du port, et crépuscule au milieu du champ…
Depuis sept ans, 24 heures sur 24, elle est installée près de moi, me précède avec enthousiasme, me suit avec bonhomie. J’ai perdu mon miroir, mon alter-ego, mon ombre. Il m’en reste la vague impression de me dématérialiser un peu.
Grosse peine noire frisée…
On le sait bien, les américains ne sont pas tous stupides. Durant la deuxième guerre mondiale, les allemands non plus n’étaient pas tous stupides. Des jeunes allemands, objecteurs de conscience, pour s’objecter, dansaient le swing, clandestinement, jusqu’à leur violente arrestation et leur enrôlement de force.
J’ai toujours rêvé danser le swing comme ces Swing Kids.
La nuit dernière j’ai rêvé que je dansais un swing d’enfer, sugar push, side pass, right side pass, inside turn, cuddle wrap, tuck turn, turning whip, american spin, double overhead loop… avec notre premier ministre, frisé et grassouillet, mais étonnamment souple et rapide. Que le grand pop-corn-psy m’analyse ça!
J’ai toujours rêvé de voler. Prendre un élan dans le corridor du deuxième, plonger par la fenêtre, sentir la force de l’air me porter… La grande brasse et la longue glisse en rase-mottes au-dessus du paysage, jusqu’à l’horizon…
Grisant…
Apaisant…
Bien, je l’ai fait la nuit dernière. Exactement le rêve de Ramon dans La mer intérieure. Le grand plongeon, le cœur soulevé, emballé… les yeux qui se noient dans toutes les tonalités de prairies et de landes… les poumons qui se remplissent des senteurs attrapées au-dessus des vallons et des collines de la Galicia espagnole, rouvre pin genêt ajonc, mimosas gardénias citronniers… jusqu’à la mer. Jusqu’à cette immense haleine saline, jusqu’à la grande déclinaison de tous ces bleus de ciels et d’eaux.
En attendant le prochain épisode je ferai encore, inlassablement, des bulles et des moulinets chlorés dans le bleu turquoise-piscine.
Et comme dit un lyrique ami épistolaire à moi:
«On a cessé d’entendre le chant des sirènes pour se concentrer sur celui des baleines et sur le bruit des vagues. Il faudrait réapprendre à divaguer sur les flots océaniques…» (P. G.)
De retour chez moi après un autre épisode de Les sœurs Lali à la mer
L’Atlantique…
Nous sommes tombées dedans quand nous étions petites. Profonde accoutumance.
Seules au coeur de la nuit, au coeur de janvier, au coeur d’une station balnéaire désertée… au coeur de la pluie et des vagues battantes, deux folles rient. Closed for the season, Closed for the season, Closed for the season… enfin à nous seules les kilomètres de sable blond, les magistrales marées, gonflées par la pleine lune, les déferlantes vert-bleu qui s’abattent lourdement sur la côte rocheuse, le ciel cristallin d’hiver, les embruns salés et le vent glacé – bitter, dit-on, amer, mordant, cinglant – de l’Atlantique nord. Dormir, même en hiver, avec, pour berceuse, à pleine fenêtre, la respiration ample et rythmée de l’océan.
J’allais vous écrire la mer, mais un type l’a fait parfaitement: «La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir»:
« (…)
Celui qui est las des chemins de la terre ou qui devine, avant de les avoir tentés, combien ils sont âpres et vulgaires, sera séduit par les pâles routes de la mer, plus dangereuses et plus douces, incertaines et désertes. Tout y est plus mystérieux, jusqu’à ces grandes ombres qui flottent parfois paisiblement sur les champs nus de la mer, sans maisons et sans ombrages, et qu’y étendent les nuages, ces hameaux célestes, ces vagues ramures. La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s’anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n’est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s’émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C’est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu’on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots. Elle rafraîchit notre imagination parce qu’elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu’elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s’élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses.»
Proust, Les plaisirs et les jours, septembre 1892
Capitaine, mon capitaine, tu as levé l’ancre sans moi…
Comme j’aimerais t’offrir, tout-de-suite, là, ton Pepsi ou ta Chicklet’s bleue…
Parés à border au milieu des bourrasques, tu choquerais l’écoute, je barrerais adroitement… À tribord toutes!
Pour éviter ce cargo malin au cap imprévisible, pour revenir dans le chenal, pour continuer de louvoyer sous le soleil.
Mais voici la tangue et voici la houle. Car c’est la vie du marin, pas de quartier pour le gros grain!
Bon vent et à bientôt mon meilleur capitaine,
Ton meilleur matelot.
–
Le fleuve est presque gelé. Les navires sont à quai, ou à bon port.
Merci mon capitaine d’avoir été mon phare et ma bouée.
Tout est recueilli sous un feutre, il a neigé ce matin.
La saison triste a tenté de s’étirer jusqu’au solstice et y est presque arrivée.
La première neige…
Chaque fois je suis ébahie, chaque fois toute chose me réapparaît, nouvelle.
Café blanc (pastel gras)
Dimanche soir, dix-sept heures.
Une de ces rares journées où l’automne sent le printemps.
Assise sur ma terrasse, il me vient une vague impression d’irréel. L’air est doux, mouillé et parfaitement immobile. Depuis l’ouest, à l’horizontale, le ciel gris-jaune illumine la cime des bouleaux encore touffus de feuilles dorées qui se découpent, phosphorescents, sur la sombre toile de ciel étendue à l’est.
Ce calme…
Les feuilles lourdes, s’abandonnent à leur dernière chute. On les entend dégringoler de-ci de-là, de branche en branche… tchik, tchik… tchik… tchik, tchik, tchik…tchik.
Ce silence…
L’appréhension de l’enfermement hivernal me font ce soir ouvrir toutes grandes toutes les fenêtres.
Puis, vers quatre heures du matin, je serai tirée de mon sommeil par le sifflement violent de ce vent arrivé, comme s’il jouait à travers les drisses et les haubans d’une caravelle géante.
Lundi matin.
Ça y est, ce matin la rosée est toute givrée…
Saison des nez qui coulent et des lèvres gercées.
Pour l’amour il y a aimer, il manque un verbe pour l’amitié.
En quittant la maison ce midi je t’ai cueilli, en pensée, trèfle rose, chicorée et carotte sauvage. Un léger bouquet, dentelle de fin d’été. À la terrasse du café, il me prend l’envie de t’écrire. Dépose s’il te plaît cette gerbe sur la table où tu boiras un thé, cruelle amitié en différé.
Septembre est doux comme juillet, rémission avant le givre et les intérieurs. Les érables rougissent franchement. La ville est belle, les gens sourient…
Mon humeur est un camaïeu. Je nage dans les bleus de mes pastels, bleu sur le tablier, bleu sur les doigts, bleu sur les joues.
L’ange qui se reposait sur mon épaule, posé là comme un oiseau, me sourit gentiment ces temps-ci. Je réalise des images qui accompagneront, en grand format dans un musée, les âmes disparues.
Café au bord du fleuve (pastel gras)
J’ai fabriqué un cerf-volant. Vingt ans durant.
J’ai cherché, déniché, inventé les matériaux les plus légers, pour que la brise le porte, qu’il puisse voyager.
J’ai croisé les plus souples roseaux, couché les plus fins papiers, rouges et orangés.
J’ai filé et noué les ficelles, j’ai bouclé bien serré les rubans bleus et dorés…
Ce matin, le matin des vingt ans, je suis sortie, je l’ai lâché. Le vent sitôt l’a emporté, s’y est engouffré, gonflant ses franges, allumant ses couleurs, et je l’ai vu danser.
Nit Màgica, Xarxa Teatre
Théatre pyrotechnique espagnol
Au cœur du festival d’été, il règne à la Place D’Youville une atmosphère d’incendie majeur. La rue Saint-Jean est incandescente. Pendant que les odeurs soufrées de poudre nous prennent à la gorge, un opaque nuage rouge et lumineux nous aveugle en éclaboussant la vieille pierre des façades et la foule dense, comme si l’enfer y faisait subitement éruption. C’est Xarxa Teatre qui remonte la rue au son d’une musique moyenâgeuse tonitruante.
Dans leurs vastes tuniques brunes à capuchon, grossier cordon noué à la taille, des moines joyeux et sautillants, nous pétaradent un train d’enfer sur leurs tambours, sur leurs caisses claires et dans leurs bombardes retentissantes. Ils sont poursuivis par des diablotins féroces et tournoyants, cachés sous des cagoules rappelant le KKK, armés de pétards, de cornes de taureaux et de lances crachant d’immenses jets de feux d’artifice. Ils en arrosent énergiquement l’espace, les pavés et les badauds qui, terrifiés mais curieux, se massent derrière une rangées de vrais pompiers.
La foule pétrifiée jubile de bonheur tout au long du lent et singulier cortège qui, après avoir grimpé sur les fortifications, s’installe sur la porte de la vieille ville pour y allumer des jeux pyrotechniques époustouflants. Une multitude de petits engins vrillent dans tous les sens et s’allument les uns les autres en éclaboussant à la ronde leurs étincelles de feu, au son démesuré de la musique des troubadours déments… Comme si Dieu et Diable réglaient leurs comptes.
Vu de chez Marie nous sommes aux premières loges et hurlons d’une joie toute enfantine. Difficile de résister à cette folie.