11 septembre 2001…
Il y a vingt ans, j’avais fait ce petit pastel, pour envoyer aux copains de New York…
Après une moitié de pamplemousse nature, j’ai fait revenir dans un peu d’huile d’olive un morceau d’oignon blanc émincé, ajouté des quartiers de tomate fraîche, quelques feuilles parfumées de basilic, le poivre du moulin, le sel de mer, et j’y ai échappé un petit œuf de vraie poule que j’ai tout de suite caché sous le couvercle jusqu’à ce qu’il soit légèrement poché.
Avec une noix de beurre sur mon pain aux grains, un allongé au lait chaud avec un soupçon de miel de trèfle… la clarinette de Mozart jouée par un jeune virtuose italien et le soleil qui se lève dans mon jardin, c’est le bonheur!
Café rouge (pastel gras)
Le voyage en train, la correspondance timbrée, l’amour romantique…
L’empressement, les joues qui rougissent, les sourires idiots
Les regards éperdus et les mots bégayés
L’attente
Les mains qui se frôlent
Les doigts qui dessinent l’arête du nez, le menton, la nuque
Le chuchotement, l’enlacement, l’affolement, la soif
La lenteur
Les baisers-volés, les bras-dessus-bras-dessous, main-dans-la-main, cloche-pied, chair-de-poule, septième-ciel…
Les cha-cha swing tango valse-musette… slows collé-collé.
Café latin (pastel gras)
Belle grande nuit.
Sommeil réparateur. Quel bonheur quand cette expression prend tout son sens,
Cœur, corps, tête reposés. Douleur endormie. Machine au ralenti.
L’impression d’être une méduse dans l’onde tiède. L’impression d’être Bouddha…
Ophélie (pastel gras)
J’ai vu venir l’aube de loin.
Longtemps.
Froide. Lente. Muette.
Avançant lourdement.
J’aime le jour lumineux.
Fête. Cirque. Parade.
J’aime le crépuscule.
Promesse de repos. Baume sur le feu. Couverture sur les yeux.
J’aime la nuit noire.
Romance. Dormance. Latence.
Je hais l’aurore.
Levée de rideau cruelle sur ce qui reste, dévasté.
Série Nuits blanches-1 (pastel gras)
Une vrille neurophage descend dans ma jambe, je monte lire La rage dans ma chambre.
À hurler, le soir (pastel gras)
Tout est recueilli sous un feutre, il a neigé ce matin.
La saison triste a tenté de s’étirer jusqu’au solstice et y est presque arrivée.
La première neige…
Chaque fois je suis ébahie, chaque fois toute chose me réapparaît, nouvelle.
Café blanc (pastel gras)
En quittant la maison ce midi je t’ai cueilli, en pensée, trèfle rose, chicorée et carotte sauvage. Un léger bouquet, dentelle de fin d’été. À la terrasse du café, il me prend l’envie de t’écrire. Dépose s’il te plaît cette gerbe sur la table où tu boiras un thé, cruelle amitié en différé.
Septembre est doux comme juillet, rémission avant le givre et les intérieurs. Les érables rougissent franchement. La ville est belle, les gens sourient…
Mon humeur est un camaïeu. Je nage dans les bleus de mes pastels, bleu sur le tablier, bleu sur les doigts, bleu sur les joues.
L’ange qui se reposait sur mon épaule, posé là comme un oiseau, me sourit gentiment ces temps-ci. Je réalise des images qui accompagneront, en grand format dans un musée, les âmes disparues.
Café au bord du fleuve (pastel gras)
Ça se passait chez la vietnamienne. Lieu commun.
Comme pour l’éternité, étions-nous cinq ou quinze, Xuân nous servait fidèlement le won ton, les rouleaux et son sourire de Bouddha. Assis dos à la fenêtre, dos à la 18ième, dos à la ville, le dépaysement était tout de même un lamentable échec. Ni le faux lierre, ni les fausses lampes, pas même l’authentique musique ne parvenait à nous emmener bien loin de chez soi.
Certes il y avait les beignets…
J’étais là très bien servie. Comme le cheveu sur la soupe ou le loup dans la bergerie, j’étais faiseuse d’images parmi gens de lettre. Outsider de mon état depuis toujours, il m’était devenu au fil des ans beaucoup plus agréable d’évoluer chez les autres que chez mes semblables, étrangère en terre étrangère. C’était ma manière de voyager.
Tous plus ou moins artistes pourtant, tous plus ou moins travailleurs solitaires, nous nous y présentions la tête et les poches plutôt vides. C’était la condition très vague mais essentielle, je crois, à la réussite de la soirée. Ce qui nous réunissait n’était-il pas simplement le douloureux manque des éternels insatisfaits ou le vil pincement au coeur des extralucides. Comme il serait bon, pensions-nous probablement tous, de voler au-dessus de tout cela, ou tout au moins à la surface.
Zen. C’était ça le dépaysement.
Tapis au balcon (pastel gras)