Ceci est l’«esquisse» d’un trio de mes photos qui s’en ira respirer en grand format dans un salon montréalais.
C’est à la fois un honneur et un immense plaisir!
Tiens, il semble que Christo, l’artiste emballeur, soit passé par la Promenade Samuel de Champlain (si je ne m’abuse, il a aussi commencé à emballer le pont de Québec).
Lever du soleil à la Pointe de l’Islet
Revenir du Kamouraska «vent arrière» sur la route des Navigateurs…
Remonter le grand fleuve en s’arrêtant à chaque quai, à mesure que le soleil oblique, à mesure que le vent escalade l’échelle de Beaufort, mariant la science à la poésie: «jolie brise», «bonne brise», «vent frais», «grand frais»…
Rentrer avant le «coup de vent».
Kamouraska, Saint-Jean-Port-Joli, L’Islet-sur-Mer, Berthier-sur-Mer…
Vent tourné au «grand frais», à Berthier-sur-Mer
Promenade molle en cette matinée caniculaire déjà poisseuse.
Gorgé des pluies tropicales d’hier, immobile entre son inspiration et son expiration, le grand fleuve se repose très haut à l’étale. Le ciel et l’onde se mirent l’un dans l’autre à l’identique. À part, là-bas, une roche à fleur d’eau avec son grand héron qui tient la pose, ailes grandes ouvertes, bec au large du paysage bleu nuage.
Me croisent bruyamment deux vélocipèdes véloces tout équipés, bariolés comme des bibittes et déjà fort ruisselants, le temps d’entendre l’un crier à l’autre : «on remettra notre séance de contemplation à un autre jour!».
Ce matin, l’étrange hiver ressemble au printemps. Le fleuve a son allure de dégelé. À peine un fin miroir glacé le recouvre. Ici et là des monticules de glaces grises ont l’air de flotter dans un ciel inversé.
Sur la grève, une roche ronde. Comme une tête qui dépasse.
Dans un dernier élan de marée montante, l’eau la rattrape. Le fin miroir s’y déchire en chuintant et entreprend de la décorer.
Ça commence par un petit nœud papillon, brillant sous le soleil. Puis un franc nœud de cravate, une lavallière, un double-Windsor, un col, col roulé, col châle, collerette, écharpe, foulard, poncho… et hop un bonnet une calotte une cagoule un capuchon…
Pièce montée qui continue de monter, tout en mosaïque de dentelles de mousseline de résille de velours de satin de taffetas de paillettes… puis…
Puis… tout s’arrête.
Silence.
La brise est tombée, l’eau s’est immobilisée.
Ça alors, c’est étale!
Décembre. Des nuits à -20. La froidure.
Au bord du grand fleuve en fin d’après-midi se déclinent tous les tons de bleu, de jaune et de rose.
À la faveur de la marée baissante, la ligne des rochers pointe lentement à la limite des eaux profondes, rétrécissant le chenal comme par surprise. En marchant longtemps, j’avais vu venir de loin le champ de jeune glace couvrant le fleuve sur toute sa largeur. Voici qu’il est entravé dans son cours, voici qu’au grand ralenti la glace doive se compresser, se recroqueviller, se télescoper, se déchirer, se concasser pour passer. Voici qu’elle se frotte à la barre de récifs, qu’elle gémit, qu’elle grince et qu’elle explose dans un interminable fracas de tremblement de terre.
La glace grise de ce décembre s’excite facilement mais n’est pas trop obstinée, elle est passée. Elle laisse la place à l’onde lisse qui descend paisiblement vers l’océan.
Très loin vers l’amont, là ou le fleuve disparaît entre ses rives, le soleil fait flamber les orangés avant de plonger au-delà de l’horizon sud-ouest.
Il est 16 heures, à l’heure d’hiver.
Le ciel est bas. Silence. Nul écho dans l’air ouateux.
La première vraie neige, toute légère, est tombée. Quelques centimètres.
Sur la plage blanche où s’impriment mes pas, je longe l’eau. Le fleuve gris est lisse et calme.
La marée monte, imperceptiblement. Elle détrempe puis soulève soigneusement, sans la perturber, la couche de flocons recouvrant la plage.
Je marche un bon moment…
Au retour, je retrouve les empreintes de mes pas laissées plus tôt dans la neige. Elles se bercent maintenant, intactes dans la fine couche de gadoue blanchâtre qui flotte à la surface, à trente mètres de la rive. Comme si j’avais marché sur l’eau.